Trésors de nos musées (11) : « Les alignements du Moulin à Plouharnel » (circa 1901) par Hermann Koenemann

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En février 2013, le Musée de préhistoire de Carnac a acquis un tableau du peintre et graphiste allemand Hermann KOENEMANN. (1871-1934), représentant l’ouvrage de stèles dit « alignement du Vieux Moulin », à Plouharnel.

Le peintre des « bouleaux »… et des mégalithes !

Hermann KOENEMANN (Bonn, 1871-1934, Wiesbaden)1 est ce qu’on appelle un petit maître. Koenemann suit un parcours classique et aux facettes multiples dans les académies des beaux-arts allemandes, d’abord l’école d’art et d’artisanat de Wiesbaden puis l’école des arts appliqués (Kunstgewerbeschule) de Düsseldorf, il fréquente l’Académie des beaux-arts (Kunsthochschuled) de Karlsruhe de 1890 à 1892 pour devenir l’élève d’Eugen Felix Prosper Bracht (1842-1921) et de Hans Meyer (1846-1919) à l’Académie de Berlin.

Par la suite, plusieurs voyages le conduisent dans le nord de la France, en Angleterre et en Belgique. En 1901, il vient étudier un an à Paris, à l’Académie Julian. C’est probablement cette même année qu’il passe à Plouharnel-Carnac et peint ce tableau puisqu’il retourne en Allemagne fin 1902, d’abord à Wiesbaden, puis à Berlin, puis à Stargard, dans le Mecklembourg-Strelitz (aujourd’hui en Pologne), où on le repère actif artistiquement vers 1907-1908. Il finit par installer son atelier d’artiste à Schwerin, la capitale du Mecklembourg, en 1909.

Son expérience internationale est indéniable. En tant que membre de la Allgemeinen Deutschen Kunstgenossenschafte et de la Freien Vereinigung der Graphiker Berlins, on le voit présenter des œuvres à toutes les grandes expositions d’art allemandes, dont celles de Berlin (1906 et 1908), et à l’étranger ; Paris (1902), Vienne (1909), mais encore Glasgow, Liverpool et Édimbourg.

Par exemple, il présente à Paris, au Salon de 1902 (exposition de la Société des Artistes Français), un tableau intitulé « Jour de Novembre, Forêt de Fontainebleau »

Koenemann peint principalement des paysages. Il semble particulièrement attiré par le graphisme et les couleurs d’un arbre : le bouleau. C’est le sujet central de plusieurs de ses toiles, ce qui lui vaut l’appellation de « peintre des bouleaux »3. Dans le catalogue de l’exposition que le Staatliches Museum Schwerin consacre en 1976 aux peintres du Mecklembourg4, on peut lire : « Hermann Koenemann est connu comme un peintre de bouleaux. Ses paysages sont délicatement perçus dans leur effet de couleur et témoignent d’une haute culture picturale. Il s’en dégage une douce nostalgie et un silence qui invitent à une contemplation prolongée. »5

Si la grande majorité de sa production consiste en des peintures à l’huile, il est aussi graveur. Sont ainsi connues un certain nombre d’eaux-fortes de formats divers. Après la Première Guerre mondiale, quelques gravures de petit format sont utilisées pour imprimer des billets d’urgence de la ville de Mecklembourg-Strelitz, connus sous le nom de monnaie Reuter6.

Les autres œuvres de Koenemann à thématique mégalithique.

Pour mieux situer l’œuvre acquise par le Musée de Carnac dans la production d’Hermann Koenemann, il est nécessaire de dresser la liste des tableaux, dessins et gravures connus de l’artiste, sur le même thème. Or Koenemann a porté un intérêt tout particulier à la chose mégalithique, intérêt qui ne se dément pas, puisqu’il peint des mégalithes jusqu’à la fin de vie.

Une série relative à l’ouvrage de stèles de Plouharnel

Koenemann semble avoir été particulièrement inspiré par ce groupe de stèles puisque nous connaissons cinq œuvres le représentant, sur des supports différents (papier, carton, toile), dans des formats différents, avec des techniques différentes (peinture, gravure) et dans des ambiances lumineuses différentes à chaque fois. Aucune des cinq œuvres n’est datée, mais il est possible de retracer la chronologie de leur réalisation.

1 – L’œuvre première

Une peinture peut être exécutée sur un support plus ou moins noble, dans un format plus ou moins grand. Le tableau du Musée de Carnac est de belle taille (65,7 x 53,7 cm), mais c’est une huile sur carton alors que les deux autres ont été peints sur toile. Ce support est peut-être l’indice qu’il s’agit de la plus ancienne des quatre huiles connues. Le peintre y appose sa signature complète, ce qui indique qu’il ne s’agit pas d’une simple ébauche préparatoire mais bien d’une œuvre finie.

Le tableau pourrait avoir été fait sur le motif, il serait alors le fruit du premier geste de l’artiste. Mais il a pu aussi être réalisé plus tard en atelier, avec l’aide de croquis ou d’une carte postale. L’observation attentive du tableau ne permet pas de trancher.

On note la taille des moutons, exagérément réduite, qui permet au peintre de grossir la puissance visuelle des monolithes.

2 – L’œuvre d’atelier… la première huile sur toile.

Cette fois, Koenemann peint sur toile un tableau très proche du premier et de taille presque identique (65 x 50 cm). Il est donc logique de penser qu’il s’agit d’une deuxième version.

C’est sur cette deuxième réalisation qu’on notera la très grande similitude entre cette série de tableaux (les ombres par exemple) avec un cliché de Zacharie Le Rouric, édité en carte postale, dont la circulation est attestée en août 1901, et que Koenemann a pu se procurer lors de son passage. Le point de vue est pratiquement identique, et les ombres portées d’un menhir sur l’autre montrent, comme sur un cadran solaire que c’est le même moment de la journée. La prise de vue est faite à hauteur d’homme.

Le même Zacharie le Rouzic édite plus tard en carte postale un autre cliché, pris non plus à hauteur d’homme mais en contre plongée. C’est le point de vue qu’a choisi Koenemann dans son tableau pour donner de l’ampleur aux menhirs en les faisant dominer la ligne d’horizon.

Or, Koenemann n’a pas pu se procurer cette deuxième carte postale lors de son séjour breton puisqu’on n’en connaît pas de version « précurseur » (dos non divisé, donc avant 1905) et que, à notre connaissance, les exemplaires voyagés les plus anciens datent d’octobre 1910. En revanche Le Rouzic a peut-être vu le tableau de Koenemann avant de prendre son deuxième cliché.

Si la carte postale la plus ancienne de Zacharie Le Rouzic (1901) a pu être une source d’inspiration pour Koenemann, le peintre s’est bien rendu sur site pour en faire des croquis, au moins. En retour, il a pu être lui-même influencé par le tableau de Koenemann pour cadrer sa photo de 1910.

3 – L’œuvre pour le Salon.

Ses deux premières œuvres ont dû être appréciées et il reprend ce thème qui lui est cher pour exposer son talent, non pas à un seul client, mais à tous les visiteurs de la Foire artistique de Berlin (Großen Berliner Kunst-Ausstellung) en 1908 sous le titre : « Keltische Gräber zu Carnac in der Bretagne ».

Ce choix est le bon puisque sa toile est remarquée et reproduite dans le mensuel anglais : The Studio. Voici le compte-rendu de visite du correspondant du magazine : « Cette année, la grande exposition du Berliner Kunstaus a été l’occasion d’un plaisir tranquille. Il n’y a pas d’actes monumentaux, pas de surprises d’originalité à enregistrer. Le niveau général est bon… La modernité est devenue tout à fait habituelle ici, mais elle n’est pas imposée grossièrement… Ce sont les paysages qui suscitent le plus d’intérêt… Toutes sortes de vues ont inspiré les peintres paysagistes… H. Koenemann trahit le penchant rhapsodique de l’influence de Bracht dans ses tombes celtiques décoratives. »(4)

Qu’entend-il lorsqu’il écrit que Koenemann « trahit le penchant rhapsodique de l’influence de Bracht » ? Difficile de se glisser dans les méandres de la pensée du journaliste, mais la comparaison avec la peinture de Eugen Felix Prosper Bracht (1842-1921), son illustre aîné et maître, lui aussi peintre de mégalithes, adoube Koenemann et le hisse au rang des grands peintres allemands de paysages de son temps… À ce propos, faites-nous penser à consacrer un article à la peinture de mégalithes de Eugen Bracht !

La photo qui accompagne l’article nous apprend que ce n’est pas le tableau conservé par le Staatlichen Museum Schwerin qui a été exposé à Berlin. Les nuages, la répartition des moutons est différente. Il existe donc une quatrième huile sur toile, aujourd’hui perdue ou conservée dans une collection privée.

4 – L’oeuvre au Staatlichern Museum Schwerin

Koenemann réitère son travail, mais ici sur une toile nettement plus grande. Avec ses 90 x 134 cm, soit 1,2 m2, sa surface est presque quatre fois plus grande que les deux peintures précédentes (65 x 50 cm, soit 0,35 m2). Cela lui permet plus de précisions dans le rendu de la surface des stèles, par exemple les micro-reliefs du premier menhir.

Il a non seulement utilisé une toile plus grande, mais modifie aussi légèrement les proportions du tableau. De 0,8 pour 1, il passe à un format légèrement panoramique (0,67 pour 1). Donnant au paysage une ampleur bienvenue, cela lui permet de rajouter des détails comme cette autre stèle renversée en arrière-plan sur la droite. Il signe le tableau à gauche, comme l’exemplaire exposé au Berliner Kunstaus, alors que les deux premiers le sont à droite. La toile a fière allure.

Un exemplaire sur carton et trois sur toile, quatre versions qui nous montrent que l’artiste a su faire commerce d’un même motif, œuvre à succès, dont il maîtrisait parfaitement la composition et qu’il reproduisait à l’envie. Il ne va pas s’arrêter là.

5 – La gravure : rendre l’œuvre accessible au public.

Le succès du tableau à la Berliner Kunstaus, donne peut-être à Koenemann l’idée de le partager avec un plus grand public en produisant une gravure. Nous ne connaissons pas la date à laquelle elle est éditée et nous ne savons pas en quel nombre elle a été tirée.

Surprise, l’artiste grave la plaque dans le sens du tableau. Résultat, l’œuvre imprimée présente le groupe de stèle à l’envers (retournement horizontal à 180°). Koenemann, formé à la gravure par Mayer, semble avoir gravé lui-même la plaque puisqu’il signe le tirage conservé au Staatlichen Museum Schwerin.

La technique de la gravure, consistant à inciser une plaque de cuivre, produit un rendu différent d’une huile sur toile, obligeant l’artiste à apporter quelques différences dans le traitement des détails. Ainsi, le bloc au pied du premier menhir est plus rond, certains moutons ont des attitudes différentes.

Koenemann à Carnac

Arrivant par le train, Koenemann ne pouvait pas manquer les alignements du Vieux Moulin, distants, comme le montre les deux cartes postales suivantes, de seulement 300 mètres de la gare de Plouharnel.

Il poursuit bien évidemment sa découverte des monuments mégalithiques par les « alignements » de Carnac, dont il réalise, au moins, un tableau du groupe de Kermario. A l’instar du tableau conservé par le Musée de Carnac, il s’agit d’une huile sur carton, mais de plus petite dimension (34 x 50 cm). Le dos du carton est maculé de la peinture vert foncé utilisée pour représenter la lande, traces de nettoyage d’un pinceau en fin de séance ? L’œuvre semble avoir été peinte « sur le sujet ».

Koenemann ne signe pas de son nom complet, mais pose seulement son monogramme. Cela peut indiquer qu’il ne s’agit pour lui que d’un travail préparatoire, réalisé sur le terrain, et non d’une œuvre achevée. Alternative possible : une signature complète aurait été trop peu discrète pour ce petit tableau.

Le tableau a un cadre bon marché et très récent. Il peut avoir somnolé dans un carton et n’avoir jamais été accroché.

Les teintes des mousses et lichens sont rendues de manière très précise. La réalisation générale confirme la justesse du commentaire du Staatliches Museum Schwerin, « ses paysages sont subtilement colorés et témoignent d’une grande culture picturale. » Il ne fait aucun doute que Hermann Koenemann a peint le tableau à Carnac, il ne peut pas l’avoir fait à partir d’une photo ou d’une carte postale en noir et blanc.

Nous n’avons retrouvé aucune carte postale ancienne qui ait pu servir de modèle. Juste un cliché de A. Laroche vers 1877, mais où le quatrième menhir peint par Koenman n’apparait pas, sans doute encore couché dans la lande à cette époque.

Deux ans avant de présenter la barre de stèles du Vieux Moulin sous le nom de « Keltische Gräber zu Carnac in der Bretagne » au salon des artistes de Berlin de 1908, Herman Koenemann avait présenté en 1906 une autre œuvre sur les mégalithes de la région sous le titre de « Keltische Denksteine zu Carnac ». Ce tableau de 1906 nous est inconnu. Il n’est pas impossible qu’il ait été tiré de cette jolie ébauche à qui le titre de « Pierres du souvenir / Pierres tombales /Pierres commémoratives » celtiques, pourrait convenir (Steine est le pluriel de Stein, et se traduit par Pierres au pluriel).

Les tableaux allemands

A la suite de Caspar Friedrich, l’illustrissime peintre romantique allemand, ou de son maître Eugen Bracht, Koenemann s’inscrit dans la longue tradition de représentation des paysages mégalithiques d’Allemagne du Nord et du Danemark. Justement le Mecklembourg, où l’artiste se fixe définitivement à partir de 1909 abrite de nombreux dolmens.

Nous espérons que cet article, vous donnera envie d’aller visiter l’alignement du vieux moulin à Plouharnel7.

Cyrille Chaigneau et Philippe Le Port pour Les Vaisseaux de Pierres

Nous remercions Marion Perez-Bleuzen, régisseuse des collections du Musée de Carnac, Céline Cornet, directrice adjointe du Musée de Carnac, le Dr. Gero Seelig, curateur du Staatliches Museum Schwerin, ainsi que Christian Obeltz pour leur aide précieuse.

Liste des tableaux « mégalithiques » de Koenemann

  • 1906 : Keltische Denksteine zu Carnac, Lithografie (Berlin, Motzstrasse 55)
  • 1908 : Keltische Gräber zu Carnac in der Bretagne (correspond au titre paru dans The studio)
  • 1932 : Hünengrab bei Ruthenbeck
  • 1933 : Keltische Gräber

Bibliographie, webothèque et notes

  • Collectif, 1976. 100 Jahre Mecklenburgische Malerei / 100 ans de peinture mecklembourgeoise. Schwerin 1976. Catalogue de l’exposition. Schwerin : State Museum Schwerin, 1976
  • Grewolls G., 2011. Qui était qui au Mecklembourg et en Poméranie occidentale. Le dictionnaire des personnes.- Rostock Hinstorff Verlag, 2011. p. 5214
  • Müller A., Singer H.-W. Hrsg., 1922. Lexique général des artistes. Vie et œuvres des artistes visuels les plus célèbres. Volume 6.- Francfort-sur-le-Main : Rütten & Loening, 1922.- p. 162 (article : Koenemann, Hermann)
  • Schleebuch R., Mayer M., ????. Eine gesundende Reise durch Mecklenburg-Vorpommern.
  • Vollmer H., Hrsg, 1927. Lexique général des artistes plasticiens de l’Antiquité à nos jours. Fondé par Ulrich Thieme et Felix Becker, t. 21 : Knip – Krüger. Leipzig : E.-A. Seemann, 1927, p. 142-143 (article : Koenemann, Hermann).
  • Vollmer H., éd., 1956. Lexique général des Beaux-Artistes du XXe siècle, t. 3 : K-P. Leipzig : Seemann, 1956.- p. 80 (article : Koenemann, Hermann).
  1. https://gw.geneanet.org/fsoloview? ↩︎
  2. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110432f/f27.item ↩︎
  3. https://www.psychologie-schleebusch.de/kopie-rudolf-bechstein ↩︎
  4. Sept œuvres de Koenemann furent présentée lors de cette exposition montée par le Musée d’État de Schwerin : « 100 Jahre Mecklenburgische Malerei» ↩︎
  5. « Hermann Koenemann ist als Birkenmaler bekannt. Seine Landschaften sind fein empfunden in ihrer Farbwirkung und zeugen von hoher Malkultur. Von ihnen geht eine leise Wehmut und Stille aus, die zum längeren Betrachten auffordert » https://archive.org/stream/studiointernatio44londuoft#page/294/mode/2up ↩︎
  6. pour en savoir plus : https://www.ansichtskartenversand.com/ak/136-Lexique/339-Reutergeld/?&lang=6) ↩︎
  7. Pour cela vous pouvez suivre les indications données par Cawito sur komoot.com : https://www.komoot.com/fr-fr/discover/Alignements_du_Vieux_Moulin/@47.6061860,-3.1196340/tours?sport=hike&map=true&toursThroughHighlight=4971887 ↩︎

Pour citer cet article : Chaigneau C., Le Port Ph., 2025. « Trésors de nos musées (11) : « Les alignements du Moulin à Plouharnel » (circa 1901) par Hermann Koenemann », in : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 22 mars 2025.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …

Cet article a 5 commentaires

  1. Anne

    Belle découverte ! un coup de cœur pour le dernier de la série avec ses teintes orangées et ses tous petits moutons … Perso, ils n’étaient pas la quand j’y suis allée, dommage

  2. Céline

    Merci pour cet article. Nous attendons avec impatience l’article sur Eugen Bracht !

  3. Les vaisseaux de pierres

    Merci pour vos encouragements… Mais maintenant, nous n’avons plus le choix… Il faut se remettre au travail… Promis, un article sur Bracht avant la fin de l’année. Amicalement. Cyrille.

  4. Philippe mermod

    Merci pour ce bel article complet sur un artiste bien talentueux.

  5. Les vaisseaux de pierres

    Merci pour votre retour. Il nous va droit au cœur.

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