Préhistoire du cinéma : La Fée Carabosse de Georges Méliès

  • Dernière modification de la publication :18 novembre 2023
  • Post category:Cinéma / Illustration
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À la mort de Georges Méliès (1861-1938), la plupart de ses films avaient disparu, lui-même ayant brûlé son stock de Montreuil. Sur les 600 films qu’il réalisa en 17 ans d’activité (de 1896 à 1913), moins de 200 ont été retrouvés et restaurés… travail entamé dès la mort du cinéaste-magicien par Henri Langlois, créateur de la Cinémathèque française…

On a si souvent en tête les démons étranges et bondissants, les personnages et situations farfelues des films les plus connus de Méliès, qu’on est parfois surpris devant une inspiration changeante, variée, et qui se souciait d”explorer tous les genres de contes, histoires et autres narrations. Le conteur de Montreuil se fit un plaisir de revisiter absolument tous les répertoires, et ses films colorés jouèrent toujours une autre partition que le réalisme factuel, s’éloignant souvent du burlesque.

C’est le cas notamment de cette Fée Carabosse ou le Poignard Fatal, un court métrage de 12 minutes tourné en 1906 dans un magnifique en noir et blanc colorisé qui témoigne des expérimentations techniques du cinéaste. La couleur fut ajoutée par le laboratoire parisien d’Elisabeth Thuillier. La technique consistait à peindre au pinceau chaque image, une couleur après l’autre, le film pouvant passer entre les mains d’une vingtaine d’artistes.

L’histoire s’inspire d’une Grande légende bretonne racontée en 6 scènes cinématographiques et 26 tableaux (voir en lien le synopsis publié par Jacques Malthête en 1989).

Lothaire, un jeune troubadour errant et sans le sou consulte la Fée Carabosse, fripée de rides, le nez crochu et visiblement diabolique, incarnée par Méliès lui-même, la pour connaître son avenir et trouver l’âme soeur. Celle-ci lui montre la vision spectrale d’une princesse prisonnière de la Tour du Destin, un sinistre château. Le jeune homme veut courir au secours de la belle innocente. Pour l’aider, la fée lui propose un talisman magique. Mais au moment de payer, le troubadour la trompe fée et lui donne un sac rempli de sable. Elle jure de se venger. Après bien des épreuves, le troubadour, aidé d’un bon druide, parvient à délivrer la princesse. Les jeunes gens se marient, pendant que le druide envoie la Fée au fond des mers.

Ce petit film aurait été une commande des Magasins d’ameublement Dufayel, installés Boulevard Barbès à Paris. Il était montré aux enfants pendant que les parents faisaient tranquillement leurs emplettes. L’histoire est donc très simple, avec de nombreuses apparitions de monstres ou de fantômes. Mais ce qui pourrait déboucher sur une course poursuite assez classique chez Méliès va en fait prendre un autre chemin, le troubadour (suivi à une distance moyenne de la fée très en colère, bien entendu) se déplaçant dans des lieux extrêmement lugubres, dans lesquels on reconnaît une Bretagne légendaire et très glauque: des menhirs, des dolmens, mais aussi des abbayes désertes, des ruines inhospitalières…

La Cinémathèque Française conserve dans ses archives la maquette non titrée de ce décor, de la main même de Méliès, cinéaste et décorateur. On reconnaît le paysage du 12ème tableau (le donjon du château) de la scène IV (Le secours des ancêtres), à savoir : un tombeau à gauche, un dolmen au milieu, et un château fort à droite.

Méliès G. (décorateur), 1906. 1 dessin à la mine de graphitesur papier monté sur carte sous passe-partout / n. & b. (25 x 34 cm). Paris, Cinémathèque française, collection des dessins (n° D092-028)

Dans ses moments les plus sombres, le film nous montre de façon toujours graphique (avec ces décors peints et ce mélange entre des murs en volume et d’autres peints, qui “font” l’esthétique des films Méliès) un univers finalement très noir…

Cette féerie spectaculaire met donc en en scènes des ressorts très éloignés de l’enfance… Méliès fusionne et mêle astucieusement religion, êtres surnaturels et forces obscures omniprésentes et dépeint dépeignant un conflit archétypal dont il incarne les deux face : le bien (le druide) et le mal (la sorcière).

On retrouvera des Gaulois dans un film dramatique historique réalisé début 1908 : La civilisation à travers les âges, sans doute le film dont Méliès fut le plus fier ! A ce sujet : https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/prehistoire-du-cinema-1/

On connait par ailleurs, dans les collections de la Cinémathèque française (cote D119-058), un dessin tardif (1930) de Georges Méliès dont le sujet principal est un dolmen, mais celui-ci ne peut être, en l’état actuel des connaissance, rattaché à aucun film

Méliès G. , 1930. Dolmen. Dessin à la mine de graphite sur papier dans un carnet à spirale, n. & b. (13,5 x 18 cm). Cinémathèque française, collection des dessins (n° D119-058),

Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres

Fiche technique :

Titre alternatif : The Witch (Etats-Unis)
Genres : Court-métrage ; fantastique
Durée : 12 minutes
Métrage : 236 mètres
Date de sortie : 20 décembre 1906 (États-Unis)
Pays d’origine : France
Langues : Film muet
Couleur : Noir & blanc colorisé
Proportions de l’image : 1.33 : 1
Lieux de tournage : Studios de Montreuil, Seine-Saint-Denis, France
Société de production : Star-Film

Bibliographie

– Malthête J., 1989. « II était une fois… la fée Carabosse », 1895, revue d’histoire du cinéma, no 7,‎ 1989, p. 73-83 (https://www.persee.fr/doc/1895_0769-0959_1990_num_7_1_928)

Pour citer cet article : Chaigneau C., 2023. Préhistoire du cinéma : La Fée Carabosse de Georges Méliès. In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 12 mars 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …