Mégalithes et constructions identitaires (1) : l’exemple de la cathédrale de Nantes !

  • Dernière modification de la publication :3 juillet 2024
  • Post category:Histoire / Identité / Peinture
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Quand on s’intéresse aux constructions identitaires, force est de constater que pour une même époque et pour une même région, elles peuvent être multiples, contradictoires, concurrentielles voire antagonistes. Examinons la question à partir de deux exemples bretons : d’un côté, le décor monumental de l’hôtel de ville de Rennes, de l’autre, un tableau réalisé pour la cathédrale Saint-Pierre de Nantes.

Dans les deux cas, des dolmens et des menhirs… cherchez l’erreur !

Commençons par le tableau nantais…

Jean Baptiste MAUZAISSE.- « Saint Clair guérissant l’aveugle » (1823-1828).- Huile sur toile (283 × 186 cm).- Nantes, cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul

Dévastée par la Révolution, la vieille cathédrale romane de Nantes fut reconstruite sous la Restauration et son mobilier, comme son décor, entièrement renouvelés. Si très peu de tableaux anciens y subsistent, la collection d’œuvres du 19ème siècle s’illustre de grands noms d’artistes de l’époque romantique, tant parisiens (Mauzaisse, Flandrin, Désoria, Van den Berghe, Garnier, etc.) que bretons et nantais (Vidal, Jolin, Sotta ou Delaunay). Saint-Pierre de Nantes est donc, comme bon nombre de lieux de culte des grandes villes françaises, un lieu privilégié pour étudier, comprendre et apprécier la grande peinture religieuse du XIXe siècle.

Près de la sacristie de la cathédrale se trouve la petite chapelle Saint-Clair. Derrière l’autel est exposé un grand tableau de Jean-Baptiste MAUZAISSE (1784-1844) représentant saint Clair, le premier évêque de Nantes, guérissant un aveugle.

Dès 1820, le duc Decazes promet un tableau pour décorer la chapelle et c’est Mauzaisse qui est choisi par le ministère de l’Intérieur pour cette commande rétribuée d’une somme de six mille francs. Peintre d’histoire et de genre, dessinateur et lithographe, Jean-Baptiste Mauzaisse nait à Corbeil dans un milieu modeste. Il entre pourtant en 1803 dans l’atelier de François-André Vincent à l’École des beaux-arts de Paris. Il débute au Salon de 1808 et connaît très vite le succès, obtenant quatre ans plus tard une médaille d’or de 1ère classe. Si dans un premier temps, il met son talent au service d’autres peintres, il reçoit bientôt des commandes de l’État : de Louis XVIII pour ses appartements ou de Louis-Philippe pour son musée historique. Il décora également plusieurs plafonds du palais du Louvre. Après avoir été comblé de commandes officielles, il mourra dans la misère.

Pour des raisons difficiles à élucider, il faudra attendre 1828 pour que le tableau soit livré et finalement… pas accroché (on lui préfèrera un tableau, sur le même thème mais moins prosélyte, du jeune Hyppolite Flandrin). Pourtant, dans ces années 1827-1828, Mauzaisse se trouvait au fait de sa notoriété, travaillant au Louvre au plafond de la salle Louis XVIII et à celui de la salle dite du trésor de Boscoreale pour lequel, en 1822, il avait déjà brossé une puissante “Allégorie du Temps” montrant les ruines qu’il amène et les chefs-d’œuvre qu’il laisse ensuite découvrir, un de ses chefs-d’œuvre. L’idée du fragment d’entablement antique au premier plan du tableau de Nantes, d’une signification symbolique évidente, provient directement de l’allégorie du Louvre.

D’importantes commandes publiques parisiennes accaparaient donc l’activité de l’artiste lorsqu’il peignait le Saint Clair de la cathédrale, explication possible de son retard mais signe aussi de l’ambition du clergé nantais et de sa volonté d’obtenir une œuvre d’un peintre particulièrement en vue.

De fait, la composition surpasse en qualité ses autres tableaux religieux, qu’il s’agisse du gigantesque “Martyre de saint Étienne” (Salon de 1824, autrefois à la cathédrale de Bourges, transféré au Louvre) ou du “Saint Vincent Ferrier” de la cathédrale de Vannes (Salon de 1831). Rythme ample des drapés à l’antique, idéalisme, rhétorique mesurée des gestes, réalisme de la facture extrêmement soignée, exalté par les contrastes de la vive lumière dont l’artiste baigne la scène.

Sur fond de mégalithes bretons fantasmatiques et de temples païens, les personnages esquissent une chorégraphie, animée à gauche par l’étrange ballet des mains, pondérée à droite par le robuste statisme du saint évangélisateur et de ses compagnons. Deux grandes diagonales invisibles relient ces deux pôles et convergent sur le visage illuminé de l’adolescent miraculé.

Ici, la forte éloquence de Mauzaisse dépasse, et de loin, cette facile parabole de la cécité vaincue par l’Évangile. Le sujet de la peinture, témoigne du prosélytisme de la commande qui dépasse la simple restauration du cadre cultuel de l’Ancien Régime. C’est ici l’occasion pour Nantes d’apparaître comme la première ville christianisée de Bretagne à la fin du 4ème siècle, comme la première à avoir vaincu le paganisme celtique et romain, et ainsi d’affirmer sa prééminence sur Rennes, sa rivale !

L’histoire de Nantes pendant la Révolution justifiait assez pour le clergé une véritable reprise de l’évangélisation dans un esprit marqué de restauration monarchique, de conservatisme et de contre-réforme !

Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres

Pour citer cet article : Chaigneau C., “Mégalithes et constructions identitaires : l’exemple de la cathédrale de Nantes !”, Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 17 janvier 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …

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