Mégalithes et constructions identitaires (2) : l’exemple de l’hôtel de ville de Rennes !

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Quand on s’intéresse aux constructions identitaires, force est de constater que pour une même époque et pour une même région, elles peuvent être multiples, contradictoires, concurrentielles voire antagonistes. Examinons la question à partir de deux exemples bretons : un tableau réalisé pour la cathédrale Saint-Pierre de Nantes et le décor monumental de l’hôtel de ville de Rennes dont la réalisation est confiée en 1912 à Louis Roger1 Dans les deux cas, des dolmens et des menhirs… cherchez l’erreur !

L’aménagement intérieur de l’Hôtel de Ville de Rennes, construit de 1734 à 1743, est le projet décoratif le plus ambitieux et le plus significatif du mandat de Jean JANVIER (1859-1923), le maire radical de gauche de la ville de 1908 à sa mort.

Louis ROGER (1874-1953) fait partie de ces peintres de genre et de portraits, qui, pur produit de l’académisme, vont décorer les bâtiments officiels de la Troisième République à la charnière des 19ème et 20ème siècles.

Paul Sieffert, Portrait de Louis Roger, 1899,
localisation inconnue, œuvre non sourcée.

Né à Paris, il a des liens avec Rennes puisqu’il étudie la peinture dans l’atelier de Félix Lafond à l’École régionale des beaux-arts de la ville. Il poursuivra ses études artistiques dans les ateliers de Benjamin Constant et de Jean-Paul Laurens aux Beaux-Arts de Paris. Il est très vite remarqué. Médaille de 3ème classe en 1898, médaille de bronze à l’Exposition universelle de 1900, c’est le seul élève de l’école des Beaux-Arts de Rennes a être auréolé du prestigieux prix de Rome de peinture en 1899 pour « Hercule entre le Vice et la Vertu ». Bientôt, il est admis à exposer au Salon de la Société des artistes français, dont il devient sociétaire à partir de 1905.

Et c’est au Salon qu’il présente en 1908 un tableau intitulé Armor, allégorie d’une Bretagne préhistorique ou/et celtique en forme de paradis perdu (on a aujourd’hui perdu la trace de cette œuvre qui n’est connue que par les cartes postales de l’époque). C’est probablement grâce à cette huile sur toile que Louis Roger sera retenu par Jean Janvier en 1911 pour décorer le grand escalier d’honneur et la salle des mariages de l’hôtel de ville de Rennes.

Louis ROGER (1874-1953).- Armor (1908).- Huile sur toile présentée au Salon de 1908, aujourd’hui perdue. Carte postale (collection particulière)

Au pays légendaire d’Armor décorait donc le grand escalier d’honneur. Dans un paysage côtier dominé par un menhir, un vieux berger (druide ?) harangue un groupe de jeunes gens, couples et enfant, installés devant la proue d’un bateau, ces familles symbolisant le peuple breton.

La correspondance du peintre avec Jean Janvier permet de comprendre les enjeux politiques et esthétiques de ce panneaux. En juillet 1912, Roger propose avec enthousiasme ses sujets au maire :

(…) L’Antique et la Nouvelle Bretagne me sembleraient les thèmes par excellence à étudier. D’une part l’évocation du sol si particulier de notre pays – L’immense charisme qui se dégage de ses légendes si évocatrices des époques lointaines et héroïques, inspireraient fortement, je crois, l’artiste qui voudrait les traduire. En ce qui me concerne,je verrais volontiers un vieillard de jadis racontant la grande histoire à des jeunes couples de pêcheurs. La scène se déroulerait en bord de mer, sur une côté hérissée de dolmens et de menhir. Ce sujet pourrait s’instituler, par exemple, « Antique Armor » (…).

Alors qu’il postulait pour trois réalisation, Roger ne se voit attribuer que deux peintures pour l’escalier d’honneur de la mairie, qui sont malgré tout les deux pièces les plus importantes du décor de Jean Janvier. En octobre Louis Roger semble avoir terminer ses esquisses, qu’il présente au maire. Mise en place en 1914, la composition définitive est soigneusement décrite à Jean Janvier en vue du texte que le maire voulait leur consacrer dans son livre sur l’histoire de la mairie :

Au pays légendaire d’Armor : La scène se passe le matin, dans un paysage exprimant l’âpreté et aussi le charme des côtes bretonnes. Un vieux berger conte les histoire légendaires de la race d’Armor à un groupe de jeunes gens attentifs, et ceci symbolise la poésie sauvage née à l’aurore de l’existence2.

L’iconographie de cette œuvre intègre parfaitement la ligne directrice de la politique de Janvier : le modernisation douce d’une ville dont il veut souligner le statut de capitale régionale.

Dans le cadre officiel de l’hôtel de ville de Rennes, qui s’affirme petit à petit capitale de la Bretagne au détriment de Nantes, Louis Roger va ainsi participer à la construction du discours identitaire d’une Bretagne, fondamentalement, essentiellement, intrinsèquement et éternellement celtique.

Ancrée dans l’esprit allégorique de la IIIe République de l’avant guerre, la toile de Roger, endommagées lors de dégradations causées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est retirée peu de temps après 1945 et son encadrement détruit. Décroché car trop abîmé physiquement et idéologiquement, mais ressorti lors d’une grande exposition en 1922, le Musée des Beaux-Arts de Rennes le conserve soigneusement roulé dans ses réserves. Cette toile avec sa jumelle a vocation, après restauration a retrouver les murs de l’Hôtel de Ville3.

Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres

Notes, bibliographie et webographie

  1. Cf le premier volet de cet article : https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/megalithes-et-constructions-identitaires-1-lexemple-de-la-cathedrale-de-nantes/ ↩︎
  2. Rappelons que faisait face à cette grande toile une autre intitulée « Rennes, centre intellectuel de la Bretagne »…. ↩︎
  3. https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-04-27/rennes-fait-revivre-des-toiles-de-la-belle-epoque-restees-roulees-dans-du-platre-depuis-70-ans-b41eb643-0615-4c19-b5eb-fd1d49ab86d6 ↩︎

Pour citer cet article : Chaigneau C., 2023. « Mégalithes et constructions identitaires (2) : l’exemple de l’hôtel de ville de Rennes ! », Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 17 janvier 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …

Cet article a 2 commentaires

  1. Jean-François Lasnier

    salut Cyrille,
    le tableau de Louis Roger a été présenté au début de l’année dernière dans l’exposition « Rennes 1922 », au Musée des Beaux-arts de Rennes. Je tiens le catalogue à sa disposition si ça t’intéresse, il y a un article très complet sur le décor de l’Hôtel de Ville de Rennes. A plus.
    Jean-François

  2. Les vaisseaux de pierres

    Bonjour Jean-François. Je consulterai le catalogue avec grand plaisir. Cela me permettra de compléter cet articulet. C’est tout l’intérêt du site Internet de l’Association. Pouvoir réviser et enrichir les contenus au gré des commentaires des uns et des autres, de même que les ouvrir à d’autres contributeurs que notre cercle restreint actuel. Si ça vous dit, vous êtes les bienvenus, toi et une certaine personne de ta connaissance (lol). Au plaisir de te/vous lire à nouveau. Cyrille.

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