Enfantina : “Le Savant Diplodocus à travers les siècles” par G. RI (1912)

  • Dernière modification de la publication :3 juillet 2024
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Quelques éléments biographiques

Victor-Joseph-Louis MOUSSELET, qui signait, avec l’humour plan-plan d’une époque sans grande finesse, G. Ri., est un illustrateur français, pionnier de la bande dessinée, né le 12 mai 1853 à Nantes et mort le 16 octobre 1940 à Paris.

Dans le premier tiers du vingtième siècle, il dessine dans la presse pour enfants, des hebdomadaires illustrés comme La Jeunesse illustrée, Le Bon Vivant et Les Belles Images. Il y créé des mondes fabuleux aux paysages grandioses, peuplés de créatures féroces et d’extraterrestres en tous genres : la fantaisie débridée de ses univers n’a pas d’égal à cette période en Europe. Héritier de Jules VERNE, de Georges MELIES ou d’Alfred ROBIDA, G. Ri fait partie des premiers pionniers d’un genre qui fera plus tard les beaux jours de la bande dessinée : la Science-Fiction.

Ses histoires d’aventure marquent nombre de jeunes lecteurs… dont certains se feront un nom dans le monde littéraire, par exemple Jean BRULLER, dit VERCORS (1902-1991). G.Ri n’a pourtant jamais été publié en album de son vivant, le conduisant peu à peu à l’oubli, Ce n’est que très récemment qu’il est redécouvert à l’occasion de la publication en octobre 2017, coéditée par la BNF et les Éditions 20241, d’une anthologie de ses planches de science-fiction, titrée : Dans l’infini : 1906-19132.

Le savant Diplodocus à travers les siècles

Le savant Diplodocus à travers les siècles est une histoire à suivre qui coure sur 11 numéros3 de la 9ème année de parution de l’hebdomadaire Les Belles Images, en 1912, à raison de deux pages par numéro, l’une en couleur pour première de couverture et une autre en noir et blanc au verso.

L’histoire est ambitieuse. Histoire fantastique, Diplodocus est un scientifique Il tombe malade par dépit amoureux. Dans une ivresse médicamenteuse, il développe une “clairvoyance du passé, une sorte de vision rétrospective sans limite“. Ainsi va-t-il voyager à travers le temps depuis la formation de la Terre, époque après époque : d’abord les temps géologiques et paléontologiques, puis la Préhistoire. Le Paléolithique est abordé dans le n° 440, puis le Néolithique au n° 441, jusqu’à l’âge du Fer dans la dernière livraison.

De toute évidence, l’auteur s’est inspiré, tant sur le fond que pour les images, de deux ouvrages de vulgarisation scientifique et d’éducation populaire, le premier publié en 1886 par C. Marpon et E. Flammarion : Le monde avant la création de l’homme4, de Camille Flammarion (1842-1925)5 et le second publié en 1870 chez Hachette : L’Homme Primitif… ouvrage illustré par Emile Bayard de Louis Figuier (1819-1894)6.

Histoire destinée aux enfants, l’auteur mélange le conte fantastique (la capacité de Diplodocus à se projeter dans le passé), des épisodes burlesques (la bataille d’un ours et d’un tigre ou, à la fin, il ne reste que les queues…) aux connaissances scientifiques de l’époque.

La documentation est solide, le dessin est vivant, les couleurs sont vives, proches de celles que l’on trouve chez Pèlerin en images d’Épinal.

C’est donc dans le n° 441, consacré à la Préhistoire récente, que l’auteur dessine quelques monuments mégalithiques, avec trois cases montrant menhirs, cromlech et dolmens sans ou sous tumulus.

Sur les monuments mégalithiques, Victor Mousselet reconnait leur ancienneté et le voile de mystère qui les entoure encore à l’époque. Ainsi, indique-t-il que l’on ne sait toujours pas comment ces monuments furent élevés à une époque qui disposait de si si peu de moyens, idée largement partagée par les préhistoriens de la 3ème République.

Quelques allusions aux menhirs plantés par leur petit bout ou aux cromlech organisés autour d’une pierre principale signalent que, pour les monuments mégalithiques, les sources de Mousselet sont plus anciennes, et remontent aux premiers articles de vulgarisation du Magasin Pittoresque, encyclopédie populaire publiée chaque semaine par Edouard Charton (1807-1890) à partir de 1833. Pour la petite histoire, Camille Flammarion y a fait ses débuts de vulgarisateur en 1864, à l’âge de 22 ans.

Le tumulus dessiné case 10 semble s’inspirer du tumulus danois de Klekkende Høj reproduit dès 1865 par Sir John Lubbock dans Prehistoric time, gravure que l’on retrouve de nombreux ouvrages de vulgarisation en langue anglaise de l’époque. On trouve par ailleurs un monument ressemblant dans un dessin d’Émile Bayard, elle aussi largement reproduite à la fin du 19ème siècle, en particulier dans L’homme primitif de Louis Figuier, qi a connu un très grand succès de librairie.

Les aventures de notre savant Diplodocus se terminent, dans le n° 442, de manière rocambolesque et on ne peut plus mégalithique. Alors que notre héros constate qu’il est arrivé à l’âge du Fer, donc le commencement des temps historiques. “Diplodocus n’a donc rien à faire que de présenter son travail à l’Institut“. C’est alors qu’un groupe s’empare de lui pour l’offrir en sacrifice sur la table d’un dolmen. Alors que le grand sacrificateur s’apprêtent à lui tranpsercer le cœur de son couteau, Diplodocus “pousse un tel hurlement de terreur… qu’il s’éveille enfin du long rêve que lui a procuré le mélange de drogues qu’il avait avalé“.

Et, tout est bien qui finit bien… devenu riche et célèbre, le héros peut épouser bourgeoisement sa belle.

Les ouvrages d’éducation populaires restant chers pour de nombreuses bourses, des pionniers de la bande dessinée vont utiliser ce nouveau média pour diffuser largement l’état des connaissances scientifiques auprès d’un large public. Même si les aventures du savant Diplodocus n’échappent pas, loin s’en faut, aux poncifs celtomanes du roman national de la 3ème République (le druide sacrificateur, etc.), Victor Mousselet s’inscrit ici dans la tradition déjà longue de la science-fiction, avant que le genre ne s’éloigne de sa dimension éducative pour devenir un genre littéraire à part entière, maintenant tourné vers l’avenir et aux contenus plus politiques.

Philippe Le Port et Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres

Webographie :

Bibliographie

  • Monniot J., 1977, « G. R. I. Un dessinateur pas comme les autres », dans : Phénix, no 47,‎ janvier 1977, p. 35-40.
  • Nollet P., 1979. « La Jeunesse illustrée et les belles images (II) : Les dessinateurs », dans : Le Collectionneur de bandes dessinées no 19,‎ décembre 1979, p. 19.

Notes

  1. 3 histoires de Victor Mousselet dont celle du Savant Diplodocus à travers les siècles : https://www.editions2024.com/livres/dans-l-infini ↩︎
  2. sélectionnée pour le prix du patrimoine du festival de bande dessinée d’Angoulême ↩︎
  3. du n° 432 paru le 25 juillet 1912 au n° 442 paru le 3 octobre 1912 :
    n° 432, 25 juillet 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9610979/f1.image
    n° 433, 1er août 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k961098p/f1.image
    n° 434, 8 août 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9610992/f1.image
    n° 435, 15 août 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k961100v/f1.image
    n° 436, 22 août 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9611017/f1.image
    n° 437, 29 août 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k961102m/f1.image
    n° 438, 5 septembre 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9611030/f1.image
    n° 439, 12 septembre 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k961104c/f1.image
    n° 440, 19 septembre 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k961105r/f1.image
    n° 441, 26 septembre 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9611064/f1.image
    n° 442, 3 octobre 1912 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k961107h/f1.image ↩︎
  4. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6225955v ↩︎
  5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_Flammarion ↩︎
  6. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k200910h/ ↩︎

Pour citer cet article : Le Port P., (Chaigneau C., collab.), 2023. Enfantina : “Le Savant Diplodocus à travers les siècles” par G. RI (1912). In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 26 novembre 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …

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