Jusqu’au 3 novembre 2024, le Musée de Picardie à Amiens propose une exposition temporaire au beau titre de La Somme des Préhistoires. Un territoire, notre histoire1. C’est l’occasion de découvrir un tableau de Xénophon Hellouin, présenté au Salon des Artistes Français en 1870 : Funérailles au bord de la Seine (Gaule préhistorique) qui sort pour l’occasion des réserves du Musée d’Orsay à Paris2.
Ce tableau met en scène deux sites archéologiques : l’allée couverte des Déserts, fouillée à Argenteuil en 1867 par Louis Leguay (1825-1884) et la grotte d’Aurignac, publiée par Édouard Lartet en 1861. Ce rapprochement hétéroclite du Paléolithique et du Néolithique conduit le peintre à quelques anachronismes courant dans la peinture de préhistoire au 19ème siècle, en particulier dans l’habillement des protagonistes qui mélange allègrement tissus et peaux de bêtes. En revanche, il respecte scrupuleusement les données de la fouille puisque Leguay indique que les défunts étaient installés en position fœtale dos aux parois latérales de la sépulture. La présence des haches polies dans leurs gaines de bois de cerf, vestiges rarissimes mis au jour par Leguay à Argenteuil, témoigne d’une très probable rencontre entre le peintre et le préhistorien en amont de ce travail qui fut peut-être une commande. L’enquête est ouverte.
Hellouin ici illustre un banquet funéraire devant une tombe. Il insiste sur la peine de ces préhistoriques face au mort et cherche à suggérer une constante humanité depuis la préhistoire. Le titre de l’œuvre rattachant la scène à l’ancienne Gaule affirme aussi l’unicité du peuple français à travers les millénaires.
Après avoir été acquis par l’Empereur Napoléon III lors du Salon des Artistes Français de 1870, le tableau fut exposé dans la galerie de peintures du musée des Antiquités Nationales à Saint-Germain-en-Laye, aux côtés du célèbre et colossal Retour d’une chasse à l’ours ((6,05 m de haut sur 8,95 m de large) de Fernand Cormon (1845-1924). L’œuvre de Hellouin répondait en effet parfaitement aux attentes du public du 19ème siècle : découvrir à quoi pouvaient ressembler les hommes de la préhistoire, leurs outils et leur environnement. Il s’agissait en effet de donner un sens à tous ces outils en pierre exposés au musée, raconter aux visiteurs une histoire avec des personnes qui leur ressemblaient pour pouvoir les captiver. Dans ce but, d’autres œuvres rejoignirent les deux premières dans la salle, dont Deux mères peint par Maxime Faivre et présenté au Salon de 1888. Mais la fonction pédagogique de ces œuvres n’a plus été comprise au fil des découvertes scientifiques et, à la fin des années 1930, toutes furent rendues à l’administration des Beaux-Arts, sauf le tableau de Cormon qui est toujours exposé au MAN.
A l’origine, propriété personnelle de Napoléon III, le tableau est donné par l’Empereur au musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye, puis est attribué au Musée du Louvre qui le conserve de 1941 à 1960. Il rentre ensuite dans les collections du Mobilier national pour revenir au Louvre en 1976 puis rejoindre les collections du Musée d’Orsay en 1980. Après un bref dépôt au Musée du Vieil Argenteuil, il rejoint enfin définitivement les réserves du Musée d’Orsay en 2011.
Quelques éléments biographiques
La carrière de Louis-Xénophon Hellouin (Aunay-sur-Odon (Calvados), 1820 – 1895, Caen (Calvados)), comme de celle bon nombre de peintres copistes du 19ème siècle, reste largement méconnue. Il exposa régulièrement au Salon et l’État va acquérir six des œuvres de l’artiste (certaines sont des commandes de copies d’œuvres religieuses et civiles, d’autres des créations). On sait qu’il fut par ailleurs conservateur du musée de Caen au tout début du 20ème siècle.
L’allée couverte des Déserts à Argenteuil
L’allée couverte des Déserts, aussi appelée allée couverte de la Butte-Vachon, est une sépulture mégalithique située à Argenteuil, dans le département du Val-d’Oise.
Un ravinement ayant mis au jour une partie de la structure du monument, celui-ci sert de carrière improvisée jusqu’en janvier 1867, lorsque M. Guédon, contremaitre, constate la présence d’ossements humains et d’objets en silex et signale la découverte. Des fouilles sont alors engagées par Louis Leguay, président de la Société parisienne d’archéologie et d’histoire4. La tombe sera ensuite restaurée par la Société française de Numismatique et d’Archéologie. L’édifice est classé à l’inventaire des monuments historiques depuis 1943.
L’édifice, situé à flanc de colline, à 55 m d’altitude, domine la Seine distante d’environ 100 mètres et sur laquelle elle est orientée selon un axe nord-nord-ouest/sud-sud-est. En 1867, Louis Leguay fouille une structure encore conservée sur 9,30 m de longueur, mais la présence d’un sol dallé se poursuivant sur plus de 3,70 m, permet de restituer une longueur d’au moins 13 mètres à l’origine, bien qu’aucune trace de l’entrée ou d’antichambre n’ait été observée.
Construite semi-enterrée avec une section carrée de 1,90 de côté, ses parois sont constituées de deux murs parfaitement régulier de plaquettes en meulière et calcaire soigneusement agencées à sec. Le chevet est fermé par une dalle de 2,10 m de largeur, légèrement inclinée vers l’intérieur de la chambre, en appui sur les deux parois. Des dallettes recouvraient le sol. D’après le plan dressé par Leguay, la chambre était recouverte de cinq tables de couverture en grès, la dernière près du chevet étant brisée en deux parties. L’ensemble était surmonté d’une structure de recouvrement faite d’abord de plaquettes en calcaire puis de terre végétale formant tumulus, celui-ci étant connu sous le nom de “la butte Vachon”.
Les fouilles livrèrent un très riche mobilier archéologique. La chambre ayant subi un effondrement partiel au fond à l’ouest, durant sa période d’utilisation, la disposition d’origine des corps inhumés était en partie bouleversée. Mais Leguay put observer que les corps avaient été déposés en position assise, adossés au mur. Un squelette d’enfant fut même retrouvé en position verticale. On ne dispose d’aucun décompte précis du nombre de corps ensevelis mais onze crânes y furent découverts. De nombreux ossements d’animaux les accompagnaient (blaireaux, castors, sangliers, chevaux et cerfs). A côté, Leguay mis au jour de nombreux outils et armatures de flèches en silex, des haches polies (dont certaines encore emmanchées dans leur gaine en bois de cerf), une hache en jadéite issues des pentes du Monte Viso ainsi que des haches-amulettes en roche dure. A cela s’ajoute des éléments de parures dont deux fragments perforés taillés dans une défense de sanglier pour l’un et dans une carapace de tortue pour l’autre, un pendentif en schiste et des perles en nacre. Des poinçons en os et des tessons de poteries attribuées à la culture Seine-Oise-Marne permet de dater l’ensemble du Néolithique récent (3500 à 2300 av. e.-c.). Une partie de ce mobilier est conservée au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye.
Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres
Un grand merci à l’amie Anne de m’avoir fait découvrir ce tableau.
Bibliographie et notes
- Compin I., Roquebert A., 1986. Catalogue sommaire illustré des peintures du Musée du Louvre et du Musée d’Orsay. Paris : Réunion des musées nationaux, 1986, vol. 3, p. 309.
- Compin I., Lacambre G. [coord.], Roquebert A., 1990. Musée d’Orsay. Catalogue sommaire illustré des peintures. Paris, Réunion des musées nationaux, 1990, vol. 1, p.228-229.
- Peek J., 1975. Inventaire des mégalithes de France, vol. 4 : Région parisienne. Paris, CNRS, 1975, 408 p. (p. 18–23).
- Collectif, 2024. La Somme des Préhistoires. Un territoire, notre histoire. Catalogue de l’exposition. Musée de Picardie à Amiens. Éditions Snoeck, 272 p.
- https://www.amiens.fr/Vivre-a-Amiens/Culture-Patrimoine/Etablissements-culturels/Musee-de-Picardie/La-Somme-des-Prehistoires ↩︎
- Conservé sous le n° : INV 20084 ↩︎
- https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/funerailles-au-bord-de-la-seine-gaule-prehistorique-20607#artwork-history ↩︎
- https://www.persee.fr/doc/bmsap_0301-8644_1867_num_2_1_4291 ↩︎
Pour citer cet article : Chaigneau C., 2024. « Trésors des musées (1). Funérailles au bord de la Seine (1870) par Xénophon Hellouin », in : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 1er septembre 2024.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …
Merci pour ces détails, le tableau n’en est que plus intéressant
Merci Anne… J’attends avec impatience ta prochaine trouvaille !
Super ! Merci les amis, je propose un partage “hebdomadaire” des articles “Trésors des musées” sur la page des Alignements de Carnac, en renvoyant sur le blog des Vaisseaux de pierres bien sûr ? Ok pour vous ?
Oui avec plaisir… Mais je ne pourrai par fournir un nouvel article de blog chaque semaine. Je préfère tabler sur un article par quinzaine…