Et si l’on explorait les films de cinéma qui ont pris pour décor les alignements de Carnac. Remontons donc aujourd’hui dans la préhistoire du cinéma français avec “L’HOMME DU LARGE”, un film muet réalisé par Marcel L’HERBIER (1888-1979), sorti en 1920 et adapté de la nouvelle “Un drame au bord de la mer” d’Honoré de Balzac.
Le synopsis ? Depuis le drame qui a brisé sa vie, Nolff, un pêcheur solitaire, vit dans une grotte, reclus et silencieux, considérant que tout ce qui vient de la terre est avilissant et corrompu.
Quelques années plus tôt, cet « homme du large » un peu rude, qui ne vit que pour la mer, sa femme et sa fillette Djenna, est comblé par la naissance d’un fils, Michel, dans lequel il met tous ses espoirs. Élevée par sa mère dans la droiture et le travail, Djenna n’a que des qualités. Exploitant la faiblesse de son père, Michel, au contraire, développe ses plus mauvais instincts. Voleur, fourbe, pleutre et paresseux, il refuse de prendre la mer et la succession de son père. Seuls l’intéressent les lumières de la ville et ses plaisirs faciles.
Le jour de Pâques, Nolff (Roger Karl) se fait une joie d’accompagner les siens à la grande fête de Riec. Mais Michel (Jaque Catelain) préfère retrouver quelques amis peu recommandables, dont Gwenn-la-Taupe, son âme damnée (Charles Boyer dans son tout premier rôle, excusez du peu !). Après avoir passé la matinée à jouer aux cartes au bistrot, il rejoint sa famille l’après-midi, à la fête du village. Malgré une santé fragile, sa mère (Claire Prélia) l’invite à danser mais est victime d’un malaise. Au lieu d’aller chercher du secours, Michel se laisse entraîner par sa bande.
Raccompagnée chez elle, la mère reproche à son mari d’être trop faible avec son fils. Michel, pendant ce temps, fait une cour assidue à Lia (Suzanne Doris), la danseuse d’un bouge voisin. Pour calmer l’angoisse de sa mère, Djenna part à la recherche de son frère et le déniche au cabaret. Au moment où il allait suivre sa sœur, Michel est retenu par Lia, qui a flairé la rivale. L’alcool aidant, l’atmosphère du cabaret se dégrade. Michel déclenche une bagarre contre Joseph, le souteneur de Lia (Philippe Hériat) et se retrouve bientôt en prison. Au matin, Nolff apprend les nouvelles frasques de son fils et va payer la caution pour sa libération.
En rentrant à la maison, les deux hommes découvrent que la mère est morte. Le soir venu, Michel dérobe violemment à sa sœur la petite cassette que lui a confiée la mourante, en guise de dot. En découvrant ce nouveau forfait, Nolff, excédé, pourchasse son fils, le rattrape, le ligote, le jette dans une barque et le livre aux flots déchainés.
Djenna entre au couvent comme novice, tandis que Nolff fait vœu de silence. Mais, quelque temps plus tard, Djenna reçoit une lettre de son frère : la mer lui a pardonné, il est devenu marin et gagne honnêtement sa vie. Djenna abandonne son voile pour épouser son prétendant tandis que Nolff, face à la mer, attend le retour de son cher fils.
L’histoire de L’HOMME DU LARGE est mouvementée. Après l’enthousiasme de sa première présentation dans une copie teintée, le film dut subir, comme tant d’œuvres d’avant-garde, un long purgatoire qui s’acheva dans les années cinquante, au moment où la “première vague” française des années vingt était progressivement redécouverte par une nouvelle génération de cinéphiles. Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque Française, célébra le film dans une étude importante, le saluant comme “premier exemple d’écriture cinématographique”. Il admirait particulièrement la manière dont le symbolisme du thème était traduit par le travail raffiné sur les intertitres, créant une œuvre qui devenait une “succession d’idéogrammes”. Mais ces intertitres originaux admirés par Langlois et étroitement liés au récit avec surimpressions d’images, fondus enchaînés, procédés de caches et de volets, avaient disparu. Les textes reconstitués par la suite en noir et blanc étaient dotés d’une typographie hybride, sans aucun rapport avec le graphisme savant conçu par L’Herbier en 1920, et réduits à leur plus simple expression. La couleur de ces intertitres, importante dans la dramaturgie du film, avait disparu.
Au début de 1998, les Archives du Film du Centre National de la Cinématographie et Gaumont décident d’entreprendre une nouvelle restauration du film, grâce à la découverte, dans les archives de Marcel L’Herbier, de photogrammes des intertitres avec leurs teintes d’origine, accompagnés de notes détaillées pour la composition artistique de chacun de ces intertitres. Artiste multiple, à l’origine écrivain, poète, musicien, Marcel L’Herbier était très sensible à la peinture, et logiquement à la cohérence plastique de ses films. Il a d’ailleurs donné un sous-titre révélateur à L’Homme du large : “marine”. Tout au long du muet, il a tenté d’intégrer de manière plus fluide les intertitres ou “cartons”, inévitables mais fastidieux, au récit filmique. Le matériel retrouvé, annoté de sa main, prouve la longue réflexion qu’il mena sur l’esthétique de L’Homme du large, cherchant à éviter toute rupture de rythme, à faire vivre les intertitres par des dégradés de couleur répondant aux images du film, par des surimpressions sur des plans réels, des dessins évoquant une idée ou une émotion.
La scène tournée dans les alignements de Kermario est LA scène cruciale du film, celle où tout se joue, celle du mauvais choix… et Charles BOYER y apparaît comme un vilain korrigan entraînant Michel dans sa ronde infernale…
Pour la petite histoire (mais est-elle si petite ?), le film sera censuré en raison d’une des premières scènes d’homosexualité féminine du cinéma : une séquence de cabaret où une femme, interprétée par Lili Samuel, caressait la cuisse d’une autre femme… fichtre !
Vous pourrez trouver l’intégralité du métrage ici : https://archive.org/details/silent-lhomme-du-large
Et un découpage plan par plan du film ici : http://www.acinemahistory.com/2015/01/lhomme-du-large-1920-man-of-sea.html
Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres
Fiche technique
- Titre : L’Homme du large.- Sous titre : « Marine »
- Long métrage (1 h 26 min)
- Genre : drame
- Date de sortie : 3 décembre 1920
- Réalisation : Marcel L’Herbier, assisté de Dimitri Dragomir, Claude Autant-Lara, Raymond Payelle
- Scénario : Marcel L’Herbier, d’après « Un drame au bord » de la mer d’Honoré de Balzac
- Décors : Robert-Jules Garnier et Claude Autant-Lara
- Photographie : Georges Lucas
- Montage : Marcel L’Herbier, Jaque Catelain
- Directeur artistique : Claude Autant-Lara
- Pays de production : France
- Producteur : Comptoir Ciné-Location Gaumont
- Société de production : Gaumont-Série Pax (Société Nouvelle des Établissements Gaumont)
- Production déléguée : Gaumont
- Distributeur d’origine : C.C.L. – Comptoir Ciné-Location
- Société de distribution : Gaumont – Gaumont Columbia Tristar
- Format : noir et blanc teinté – 16 mm
- Cadre : 1.33
- Format son : Muet
- Numéro de visa : 58691
- Visa délivré le : 17/09/1986
- Film restauré par le CNC en partenariat avec Gaumont.
- Musique : Antoine Duhamel
- Distribution : Charles Boyer (Guenn la Taupe, le mauvais génie de Michel) / Jaque Catelain (Michel) / Roger Karl (Nolff, le père) / Philippe Hériat (Joseph, le protecteur) / Marcelle Pradot (Djenna, la sœur vertueuse de Michel) / Claire Prélia (la mère de Michel et de Djenna) / Claude Autant-Lara (un des copains) / Dimitri Dragomir (autre copain) / Suzanne Doris (Lia) / Georges Forois (le pêcheur) / Lili Samuel (une lesbienne) / Pâquerette (la tenancière) / Jeanne Bérangère / Jane Dolys / André Daven / Marcel Raval.
Pour citer cet article : Chaigneau C., 2022. “Carnac et le cinéma (1) : “L’Homme du Large” de Marcel L’Herbier (1920)”. In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 5 décembre 2022.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …