Initiée à la gravure en plusieurs bois par Jacques Beltrand (1874-1977), Sophie Grisez (La Chapelle-sous-Rougemont, territoire de Belfort, 1888 – 1968, Saulieu) commence à exposer dès 1921, des paysages ou des vues d’architecture du Mans (cathédrale, nef), de Beauce et surtout d’Auvergne (“Vue sur les Puys“, “Plusieurs aspects de l’église de Mozac“, “Village en Auvergne“, etc.).

La Bretagne apparait dans son œuvre en 1927 quand elle acquiert une petite maison à Saint-Gildas-de-Rhuys. Elle envoie cette année au Salon des Tuileries “Un dolmen”, puis exposa l’année suivante, aux Tuileries encore ou à la S.G.B.O., “Er Lannic“, “Le dolmen et la Lune” et “Paysage breton“.

Sophie Grisez se distingue des autres graveurs bretons par son style totalement original, issu du cubisme. Avec Er Lannic, elle révèle d’une façon magistrale l’îlot mégalithique à l’entrée du Golfe du Morbihan avec son cromlec’h submergé (Delouche, Piriou, Michaud, 2013).

De ces paysages du Golfe du Morbihan, parsemé des traces les plus anciennes de l’occupation humaine, elle emprunte, en les transfigurant, les éléments de composition étranges, d’essence symboliste.

« Ses paysages sans présence humaine assemblent de grandes masses architectoniques fortement géométrisées, traitées en aplats dans une gamme colorée limitée au noir et à quelques tons sourds (brun, brun-violet, bleu foncé, gris, vert olive ou émeraude) et ponctuées de signes graphiques élémentaires qui en indiquent le relief plus qu’ils ne le simulent : points, stries, lignes ondulées » nous dit Philippe Le Stum (1962-2021) dans le formidable ouvrage qu’il a consacré à la gravure sur bois en Bretagne. Il ajoute : « Un éclairage lunaire de fin ou de commencement du monde révèle dans les réserves blanches la confrontation de la mer, de la terre, de la pierre ou d’un mégalithe ».

Philippe Le Stum de poursuivre : “L’alternance de tons opposés contribue à la répartition rythmique des formes, insufflant à ces solitudes un dynamisme de conflits et de contrastes“.

Elle expose avec le concours de Beltrand, au Salon des Peintres-graveurs français entre 1941 et 1943, des sujets bretons : “Mer sauvage“, “Une barque en hiver“, “Marée montante“.

Ses paysages reflètent aussi et surtout ses préoccupations spirituelles. Chaque élément, naturel ou monumental, est doté d’une signification métaphorique, issu de son intérêt pour le zodiaque. Son œuvre, sans doute influencée par les décors et les violents éclairages du cinéma expressionniste, se rapproche du cubisme pictural d’un Albert Gleizes (1881-1953) par ses recherches sur le « nombre d’or », la géométrie symbolique et la « divine proportion ».

Contrairement à une première impression trompeuse, Sophie Grisez n’a jamais appartenu aux Seiz Breur. Beaucoup de choses les en séparaient, en particulier la dimension ésotérique de son œuvre. Mais son travail s’inscrit étroitement dans la modernité esthétique des années 20-30.

Ses gravures, devenues très rares, sont aujourd’hui principalement dispersées dans des collections privées. Par exemple, sur la page qu’il consacre aux artistes ayant peint le Golfe du Morbihan, François de Beaulieu indique qu’elle a réalisée une gravure intitulée Gavrinis¹, oeuvre que nous n’avons encore jamais croisée.

Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres

Bibliographie

• Delouche D., Piriou M.-P., Michaud J.-M., 2013. Femmes artistes en Bretagne, 1850-1950, Le Faouët, Liv’Editions, 2013, 108 p., ill. n. b. et coul
• Le Stum P., 2005. Impressions bretonnes – la gravure sur bois en Bretagne (1850-1950). Catalogue d’exposition.- Quimper, éd. Palantines / Musée départemental breton, 2005.

Notes

1. http://www.francoisdebeaulieu.fr/les-artistes-du-golfe-du-morbihan-bis/ ↩︎

Pour citer cet article : Chaigneau C., 2023. “Le musée imaginaire (15) : Sophie Grisez”. In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 23 décembre 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …