La cantatrice et les mégalithes : Norma de Bellini

Le druide sacrifiant sur la table d’un dolmen caché au fond de la forêt sacrée est une image construite de toutes pièces par l’Europe romantique de la première moitié du 19ème siècle.

Tableaux, gravures, romans, nouvelles, pièces de théâtres vont contribuer à forger les archétypes celtophiles puis celtomanes associés aux mégalithes alors considérés comme des monuments druidiques. Et dans cette profusion artistique, Norma, arrive en première place ! Cet opéra en 2 actes de Vincenzo Bellini (1801-1835), créé au théâtre de la Scala de Milan en 1831 connut un succès immédiat, succès qui ne s’est jamais démenti.

Affiche par Antonin Marie CHATINIÈRE pour le Théâtre lyrique impérial & Théâtre de la Porte St. Martin.- Lithographie en noir et blanc sur papier.- éd. Meissonnier, 1860 (76 x 56,5 cm).- conservé à Paris, au Musée des arts décoratifs ( n° 9477)

En revanche peu de gens savent que le livret de Felice Romani tiré d’une tragédie d’Alexandre Soumet évoque, lors de l’occupation romaine, l’amour tragique de Norma, prêtresse gauloise, pour le Proconsul Pollione. À cette intrigue, se mêle le soulèvement du peuple gaulois contre l’occupant, mené par le druide Oroveso, père de Norma.

L’argument ? L’histoire se passe en Gaule, vers 50 avant l’ère commune, en pleine occupation romaine. Grande prêtresse du temple druidique, Norma, en rompant ses vœux de chasteté, a eu secrètement de Pollione, proconsul romain, deux enfants. Cependant Norma découvre que Pollione (en pleine crise de la quarantaine !), est maintenant amoureux d’une jeune prêtresse, son amie, Adalgisa. En vain, Norma tente de convaincre Pollione de renoncer à Adalgisa et de lui revenir. Norma avoue alors publiquement sa faute et est condamnée à mort. Pollione est condamné pour avoir poursuivi Adalgisa dans le temple et monte au bûcher avec Norma, dont il admire la grandeur. Romantique on vous dit !

Peu d’artistes lyriques ont osé aborder Norma. Rôle écrasant, considéré comme l’un des plus difficiles du répertoire des sopranos, il exige une extrême agilité et une rare étendue vocale, une puissance dramatique à toute épreuve, une sensibilité alliée à une exceptionnelle intelligence scénique. Ce sera, LE rôle de Maria Callas (1923-1977), qui va l’interpréter à de nombreuses reprises.

Maria Callas dans Norma, présenté le 24 août 1960 dans le théâtre antique d’Epidaure. Ici le décor du temple druidique évoque Stonehenge.

Ainsi, du 22 mai au 24 juin 1961, Maria Callas donnera Norma huit fois au Théâtre National de l’Opéra de Paris, sous la direction de Georges Prêtre. Cette production donna l’occasion à Franco Zefirelli de présenter à Paris l’une de ses fameuses mises en scène néo-réalistes, soulignée par des décors époustouflants.

Maria Callas dans Norma Opéra de Paris 22 mai au 24 juin 1964 dans la mise en scène de Franco Zefirelli… Remarquez le décor du “Temple druidique” fait d’un cercle de pierres dressées…

« Incomparable, elle est à la fois le personnage, la musique, le drame, la légende et la vie. Elle a le don d’exprimer avec une suprême autorité l’héroïne qu’elle incarne. Ses gestes, ses attitudes, sa démarche, le timbre de sa voix, ses accents émouvants ou dramatiques conduisent merveilleusement le spectateur et l’auditeur dans l’inspiration véritable du poète et du musicien. Ces dons remarquables permettent à Maria Callas d’apporter une nouvelle jeunesse à un ouvrage conçu dans la forme traditionnelle de l’Opéra italien », dira Maurice Dirand dans la revue L‘Opéra de Paris n° 23, 1er trimestre 1965.

Et de fait, tout le monde connaît l’interprétation par la cantatrice grecque du « Casta Diva », le tube de cet opéra… bouleversant ! La scène se passe au premier acte. Norma tente de convaincre les Gaulois de ne pas attaquer les Romains, parce qu’elle espère encore reconquérir l’amour de Pollione. L’ordre qu’elle adresse à son peuple prend la forme d’une magnifique prière à la lune.

La soprano italienne Fiorenza Cedolins, dans le rôle de Norma, la druidesse, dirigée par Giuliano Carella, dans une mise en scène de Francisco Negrin en 2007 au GrandTheatre Del Liceu à Barcelona… La tradition du belcanto à son sommet, avec menhir et cueillette du gui à la clé !

Quelques vers traduits de l’italien pour vous faire rêver un peu…
« Chaste déesse, Toi qui baignes d’une lumière argentée ces antiques bosquets sacrés
Tourne vers nous ton beau visage sans nuage et sans voile !
Apaise, ô Déesse, Apaise la fureur ardente, Apaise pour l’instant le zèle guerrier ;
Répands sur la terre la paix que tu fais régner dans le ciel !
La cérémonie est terminée. Que le bois sacré soit maintenant libre de toute présence profane !
Quand la divinité sombre et irritée demandera de verser le sang des Romains,
Alors ma voix retentira devant le temple des druides
»

Quand je vous disais qu’il y avait du dolmen et du cercle de pierres pas bien loin… Nombre de productions contemporaines de Norma continuent d’offrir au public des décors mégalithiques tous plus impressionnants les uns que les autres… On y reviendra… En attendant un bel exemple parmi beaucoup, beaucoup d’autres…

Maria Agresta dans le rôle titre de Norma produit à l’opéra de Turin en 2002 (reprise en 2012). Dans cette production contemporaine, le temple druidique est incarné sobrement par un dolmen que domine deux grandes stèles… Ici aucune distanciation avec la notion de table de sacrifice malgré 200 ans d’archéologie… comme quoi les archétypes ont la vie dure !

Cyrille CHAIGNEAU pour “Les Vaisseaux de Pierres”

Pour citer cet article : Chaigneau C., 2023. La cantatrice et les mégalithes (1) : Norma de Bellini. In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 19 janvier 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …

Texte paru la première fois sur la page Facebook de l’association : https://www.facebook.com/Carnac2020/posts/pfbid02fhgRtS7dGYoHBvZuMa2zADqKtLjG5F3JuYPEhQneh9b18smH42SWSxjG18fyCuw3l