Images perdues du Tumulus Saint-Michel à Carnac

Force est de constater, le tumulus Saint-Michel, point culminant de la commune de Carnac avec ses 44 mètres d’altitude a aujourd’hui quasiment disparu du paysage : on le devine derrière les maisons, on le soupçonne à travers les arbres, mais on ne le voit plus, ou presque… Seule surnage de ce paysage refermé la chapelle à son sommet.

Nombre de touristes, de primo-visiteurs de Carnac repartent sans même connaître son existence et son importance pour la préhistoire européenne. Il a aujourd’hui disparu du paysage physique, mais encore du paysage mental. Et avec lui ont disparu les imaginaires qui lui étaient associés. Or, un imaginaire ne peut se construire que dans un paysage vécu, familier et partagé. C’est ici tout l’art du conteur. Que serait le roman arthurien sans la forêt de Brécélien ou la fontaine de Barenton ?

Notre Mont Saint-Michel a pourtant dominé le territoire de Carnac pendant 6500 ans. Pour nous en convaincre amusons nous à en faire le tour à travers quelques cartes postales de la première partie du 20ème siècle, parmi des dizaines d’autres. Nous commencerons notre circumambulation par le nord, du côté du champ de menhirs de Kermario, et tourneront dans le sens contraire des aiguilles d’une montre pour terminer à l’Est, au pied du menhir de Kerluir.

Depuis le nord et l’ouest

Depuis l’ouest

Depuis le sud et l’est maintenant

Cette photographie panoramique prise depuis Carnac-Plage au début du 20ème siècle montre à quel point le tumulus Saint-Michel dominait, contrôlait le paysage.

Il est stupéfiant de voir à quel point le tumulus était autrefois prégnant. Visible de loin, il contrôlait et structurait le paysage à plusieurs dizaines de kilomètres, contrôlait l’ensemble de la baie de Quiberon. Mais 70 ans d’urbanisme galopant et de déprise agricole ont eu raison de ce paysage millénaire !

Depuis l’est enfin

Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir ce que voulait dire Carnac, le nom de Carnac, le toponyme Carnac, l’ethnonyme Carnac ? Les avis sont partagés et il nous faudrait plusieurs pages pour lister toutes les solutions proposées : beaucoup sont farfelues et la plupart très orientées idéologiquement.

Nous vous épargnons les fous littéraires et autres graphomanes pour aller à l’essentiel. Si le terme carn n’est plus guère utilisé en breton que pour désigner la corne du pied, il a eu jadis le sens de tas de pierre, et c’est avec cette signification qu’il figure dans plusieurs noms de lieux. Carnac serait alors le lieu où il y a un tas de pierre, un monticule de pierre, un cairn, puisque le mot est passé dans la langue française. Denis Roche, dans une tentative de synthèse plutôt réussie sur Carnac, illustre cette tendance générale qui veut que carn vient de cairn et que ac, suffixe latin ou breton, en soit l’adjectif possessif, d’où : lieu où il y a un amas de pierres. Cette hypothèse est aussi formulée chez les toponymistes Dauzat et Rostaing ou par Léon Fleuriot. D’ailleurs, la notion de tas de pierres, a peut-être renvoyé, chez certains auteurs, à l’idée d’un champ de pierre, d’un lieu pierreux, ce qui a entraîné le chanoine Mahé à traduire Carnac par lieu qui a des pierres levées au début du 19ème siècle.

Et c’est là qu’intervient un nouvel argument. Le nom du village de Cloucarnac, situé à 200 mètres au sud-est du tumulus a longtemps été écrit Cruccarnac. Il faut attendre le 18ème siècle pour trouver l’orthographe actuel. Cruccarnac se décompose en cruc et carnac. Or, cruc ou crug signifie en breton éminence, butte. On le trouve dans Crucuny, un autre village de Carnac qui possède en son sein un tumulus impressionnant, dans Cruccuno à Erdeven, Crubelz à Belz. Cruc Ardon est, par exemple, le nom de la Butte de Tumiac à Arzon (ex Ardon), inscrit en 836 dans le cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon. À chaque fois, le terme cruc est lié à la présence d’un tumulus ou d’un dolmen même s’il a perdu depuis longtemps sa structure de recouvrement.

Cloucarnac est donc la butte du cairn. Pourquoi donc chercher midi à quatorze heure ? Pourquoi se perdre en argumentations hasardeuses ou douteuses quand le breton nous offre une étymologie toute simple, qui plus est confirmée par la topographie. Il est pourtant bien là ce carncairnCarnac est donc le territoire du Mont Saint-Michel, comme on l’appelait encore au 19ème siècle avant que l’on ne prouve la fonction funéraire monument. C’est lui qui a donné son nom au territoire élargit.

Sans doute, Carnac a-t-il perdu beaucoup en effaçant de son paysage le tumulus Saint-Michel. Peu de territoires se sont ainsi privés, amputés, d’un élément aussi fort, aussi central de leur identité. Espérons que le classement par l’Unesco des architectures monumentales néolithique de Carnac et des Rives du Morbihan au titre de Patrimoine mondial permettra aux carnacois de retrouver cette part de magie de leur territoire unique.

Cyrille Chaigneau pour Les Vaisseaux de Pierres

Pour citer cet article : Chaigneau C., 2023. Images perdues du Tumulus Saint-Michel à Carnac. In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 23 février 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …