Edgard Maxence : “La Légende bretonne”

Edgard Maxence (1871-1954).- La légende bretonne (1906).- Huile sur toile (150 x 221 cm).- Paris, Musée d’Orsay (inv.RF 2013.10).

Le tableau

Ce chef-d’œuvre du peintre symboliste Edgard MAXENCE (Nantes, 1871 – La Bernerie-en-Retz, 1954) a été exécuté en 1906 pour l’hôtel particulier parisien du docteur, chirurgien et gynécologue d’origine nantaise, Louis-Gustave Richelot (1844-1924), membre de l’Académie de médecine et collectionneur d’œuvres et d’objets d’art en lien avec la Renaissance. Le fait que Richelot, également musicien à ses heures perdues, ait composé une œuvre intitulée Légende bretonne, pièce pour voix et orchestre n’est certainement pas une coïncidence. Maxence avait déjà réalisé pour son commanditaire un plafond intitulé Les papillons de nuit (1901, Ambassade d’Israël). Longtemps conservée dans des collections particulières hors de France, cette toile fut acquise par le musée d’Orsay en 20131.

Placé dans un imposant cadre en bois doré d’une épaisseur impressionnante et de style néo-renaissance, telle la scène d’un théâtre, cette grande toile montre, une jeune Bretonne à l’abri d’un dolmen et sous la pleine lune, en costume de fête de Pont-Aven. Elle écoute, effrayée, la légende que lui raconte une fée aux cheveux roux et en manteau d’hermine. Au fond à gauche, des Korrigans rouges, se cachant au milieu d’un ensemble de monuments mégalithiques, renforcent l’atmosphère angoissante de l’instant.

Le tableau s’inscrit dans le mouvement de réaffirmation culturelle bretonne particulier à la Belle époque. Jupe de dentelle, haut brodé de motifs traditionnels, manteau d’hermine, mais encore korrigans, dolmens et menhirs, sont autant de signaux du pittoresque sinon de l’identité bretonne. Mêlant réel et surnaturel, le peintre représente, non sans humour, une Bretagne bicéphale… faisant se confronter une Bretagne chrétienne pieuse et austère incarnée par la jeune paysanne, à une Bretagne magique et païenne, mystique et puissante, incarnée par les korrigans, les mégalithes et la fée dont les pieds s’ancrent dans la terre et se mêlent aux racines, comme une sorte de « rappelle toi qui tu es » envoyé aux milliers de Bécassine.

Quelques éléments biographiques

Né à Nantes le 17 septembre 1871 dans une famille de propriétaires terriens, Edgard Maxence grandit dans un univers où rien ne le prédestine à une vie d’artiste. On ignore d’où vient la vocation de Maxence, mais la proximité de sa mère, Estelle Boquien, avec le milieu culturel nantais, est peut-être l’un des facteurs qui le mène vers une carrière artistique. De plus, au cours de sa scolarité à l’Externat des Enfants Nantais, il suit les cours de dessin de l’abbé Sotta (premier maître d’Élie Delaunay) qui a sans doute été à l’origine de sa vocation artistique.

Edgard Maxence fut avant de devenir ce petit maître un peu vite oublié, l’élève de deux autres nantais : Alexandre-Jacques CHANTRON et Jules Elie DELAUNAY (1828-1891) à l’École des Beaux-Arts de Paris, avant de suivre jusqu’en 1896 l’enseignement du “pape ” de l’école symboliste française, Gustave MOREAU, qui aura sur lui une influence déterminante. Ses premières œuvres, comme Héraclès détruit les oiseaux de Stymphale (vers 1893, Paris, Musée d’Orsay)2, sont marquées par cet héritage tant dans le sujet que dans la composition.

Le parcours de Maxence à l’École des Beaux-Arts est brillant : il est reçu Premier Logiste en 1893 puis premier prix de figure d’expression en 1894. Malgré tout, il est éliminé dès le premier tour du Prix de Rome en 1895. Cet échec détermine certainement le chemin artistique qu’il choisit d’emprunter par la suite.

Très jeune, Maxence se démarque de ses contemporains par son goût pour les portraits. Ce n’est que vers 1900 que Maxence commence à peindre des sujets inspirés de la matière de Bretagne et autres récits médiévaux. Apparaissent alors des sujets ambigus et obscurs, des processions rêveuses, des visages oniriques, simultanément nourri de sa culture chrétienne et de ses racines bretonnes.

Dès 1894, il expose aux « Artistes français ». Devenu propriétaire d’une villa à la Bernerie-en-Retz, non loin de Nantes, il peint ce décor de villégiature dans “Les Fleurs du lac” (1900), qui obtient la médaille d’or à l’Exposition décennale. Après moult prix dont une médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1900 et une médaille d’honneur en 1914. Son sens du sacré et son grand mysticisme le feront exposer aux salons de la « Rose Croix » de 1895 à 1897 sous l’égide du « Sâr Péladan » (fondateur du renouveau du mouvement rosicrucien à la fin du 19ème siècle en France et maître à penser du mouvement artistique symboliste).

Tout en continuant dans la veine symboliste, les contingences d’une famille à nourrir (il se marie en 1897) l’amènent à produire, lui l’homme peu attiré par les mondanités et pourtant issu d’un milieu aisé, de nombreux portraits de commandes, activité plus rémunératrice. Après la Première Guerre Mondiale, il poursuit une brillante carrière de portraitiste mondain pour la bourgeoisie locale, nationale, voire internationale, s’attachant également à des sujets plus spontanés comme les natures mortes ou les paysages.

Chevalier de la Légion d’honneur en 1900, il est élevé au grade d’Officier en 1927; il est élu à l’Institut en 1924 au fauteuil qu’occupait le peintre Fernand Cormon. Cette position à l’Institut le conduit à exécuter nombre de portraits de sommités du monde politique, scientifique et culturel.

Le peintre

Sa palette est lumineuse et variée : il utilise des rouges grenats, des verts émeraude, des jaunes sourds. Technicien hors pair, il manie avec une grande dextérité les techniques les plus variées et pointues : tempera, pastel, sanguine, fonds d’or, cire et huile mélangées puis poncées, gouache, pointe d’argent et autre fusain, etc. portant le souci du détail dans ses œuvres jusqu’à composer ses cadres, souvent magnifiques et indissociables du tableau tellement ils s’avéraient pensés “avec “. L’emploie de divers médiums donne un aspect singulier à ses œuvres et accentue l’aspect primitif de ses scènes mystiques en dépit du traitement toujours réaliste des visages.

Edgard Maxence était avant tout un poète, un contemplatif des choses de la nature et de la vie, un homme pieux doublé d’un grand mystique. Il a su créer un univers tout personnel. Son thème de prédilection est la femme en communion fusionnelle avec la nature, en méditation, mystérieuse car présente et absorbée dans une vie intérieure qui semble puiser dans une époque lointaine (indiquée par le costume et le paysage habité de références mythologiques) pour nourrir un imaginaire prégnant qui se lit dans l’expression de son visage. En cela il nous rappelle les préraphaélites3.

L’artiste possède sa propre mythologie, son symbolisme reste unique, empreint d’une spiritualité sensuelle et discrète, portée par des modèles féminins magnifiés. Il nous lègue un art moins gratuit et plus « militant » qu’il n’y paraît, dans une forme poétique engagée en faveur du songe et du fantasme.

Cyrille Chaigneau pour les Vaisseaux de Pierres

Bibliographie

  • Bénézit E., 1999. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Paris, Editions Gründ, 1999.
  • Cachin F. [dir.], Bascou M., 1990. De Manet à Matisse : sept ans d’enrichissement au Musée d’Orsay, cat.exp. (Paris, musée d’Orsay, 12 novembre 1990-10 mars 1991), Paris, Réunion des musées nationaux, 1990, p.169
  • Lacambre G., 1984. Gustave Moreau et le Symbolisme, cat.exp. (Yamanashi, musée départemental d’Art, 9 septembre – 14 octobre 1984, Kamakura, musée d’Art moderne, 27 octobre – 2 décembre 1984, Mié, musée départemental d’Art, 4 janvier – 11 février 1985), Tokyo, Tokyo Shimbun, 1984, n°44
  • “Edgard Maxence 1871-1954, Les dernières fleurs du symbolisme”. 2010.

Notes

Pour citer cet article : Chaigneau C., 2022. Edgard Maxence : “La Légende bretonne”. In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 4 décembre 2022, révisé le 10 mars 2024.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …