“A l’ombre de menhirs et dolmens”, mini-récit dessiné par Hubuc pour le magazine Spirou (1962)

Créée en 1960, la Mini-Bibliothèque est une collection de mini-récits de bande dessinée en couleur encartée dans les pages centrales du magazine hebdomadaire Spirou (paginé le plus souvent de 19 à 22) et que le lecteur devait découper, plier et agrafer pour former un volume de 36 pages au format 9,5 x 7 centimètres environ.

Prudente, la rédaction lance d’abord 12 mini-récits de 48 pages dans des numéros spéciaux, non numérotés. Le premier est publié en juillet 1959, à savoir Les Schtroumphs Noirs du dessinateur belge Pierre Culliford (1928-1992) plus connu par son pseudonyme Peyo.

Le succès étant au rendez-vous, ce sont donc 578 mini-récits qui paraîtront de 1959 à 1975. Nombre de dessinateurs belges collaborèrent à cette collection tels que : Salvé, Franquin, Roba, Jidéhem, Jacques Devos, Géday, Ryssack, Remacle, De Gieter, Dubar, et bien d’autres encore.

Les lecteurs vont découvrir A l’ombre des dolmens et des menhirs (n° 109 de la série), dessiné par Hubuc et encarté dans le n° 1253 (19 avril 1962) de l’hebdomadaire.

L’histoire se passe en Bretagne, plus précisément dans le Finistère, dans la ville imaginaire de Kelkoff. Elle met en scène la rivalité de deux notables érudits : le Pr. Corentin Trouhasec, collectionneur de dolmens qui considère le menhir comme un « balbutiement primitif » et le Pr. Thomas Fédongaf, collectionneur de menhirs pour qui la sophistication des dolmens est loin d’égaler la « haute expression artistique » des menhirs.

Alors que de savants académiciens doivent venir inaugurer leurs collections respectives de mégalithes, les deux professeurs vont multiplier les coups bas l’un envers l’autre. Pendant la nuit, Trouhasec, peinturlure un des menhirs de Fédongaf qui se ridiculise le lendemain pendant l’inauguration.

Pour se venger, Fédongaf customise la nuit suivante l’un des dolmens de Trouhasec en style Louis XV.

S’en est assez pour Trouhasec qui décide de satelliser un menhir de son adversaire grâce à un système de propulsion bricolé par ses soins. En réaction, Fédongaf projette à son tour de mettre en orbite un des dolmen de son confrère et néanmoins ennemi, mais en est empêché par la pluie.

Lorsque le dieu gaulois Tape-Duk, qui prenait sa retraite dans les nuages, voit passer sous son nez le menhir-fusée, il redescend sur terre pour jeter un sort aux deux antiquaires, n’appréciant guère que l’on maltraite les mégalithes. Le but du sortilège, les obliger, l’un et l’autre, à apprécier menhir et dolmen à valeur égale. Mais c’est peine perdue et la rivalité recommence de plus belle. La dernière case montre Tape-Duk assis sur son nuage attristé de n’avoir pu réconcilier les deux hommes qui continuent leur guerre à grand coup de lancer de monolithes dans les airs.

Avril 1962, nous sommes juste quelques mois après le premier vol spatial habité de Youri Gargarine qui inaugure la course à l’espace entre l’URSS et les USA. L’idée de lancer un menhir en orbite n’est donc pas anodine. De même, lorsque cette histoire paraît, nous sommes juste trois ans après la publication du premier album d’Astérix (1959). Or, Tape-Duk emprunte les traits du chef Abraracourcix, créé par Uderzo. Hommage ou citation, ce n’est évidemment pas un hasard.

N’oublions pas que, à l’instar de la figure d’un Obélix, tailleur de menhir, les aventures des Gaulois inventés par Gosciny et Uderzo, ne faisaient que reprendre l’idée, assénée par le roman national de la Troisième République et largement diffusée dans les manuels scolaires, que les mégalithes étaient des monuments druidiques, des monuments celtiques. Bien que réfutée dès la fin du 19ème siècle, cette idée était encore largement ancrée dans l’imaginaire collectif, en France comme en Belgique, alors même que la communauté scientifique commençait à avancer des preuves irréfutables de leur antériorité grâce aux datations radio-carbone.

Roger Copuse (1927-1970), alias Hubuc

Hubuc, de son vrai nom Roger Copuse (1927-1970), est né le 1er janvier 1927. Il est d’abord technicien radio dans la marine marchande, puis opérateur radio sur les vols Bruxelles-New-York pour la compagnie aérienne belge Sabena. Il sera aussi journaliste sportif sous le pseudonyme de Paul Claudel.

Dès le début des années 1960, il donne quelques dessins pour Spirou, puis de 1961 à 1968, réalise pas moins de 30 mini-récits pour le magazine. Avec le dessinateur belge Jacques Devos (1924-1992), il crée, à partir de 1962 et jusqu’en 1964, le personnage de Victor Sébastopol. Évoluant au début du 20ème siècle dans un pays fictif appelé Boursoulavie, cet espion multiplie les ratages en mission, en particulier lorsqu’il est confronté à Fraulein Z, , une autre espionne, ce qui lui vaut de subir à chaque fois les foudres de son supérieur, le colonel Von Himmerschnaps.

Toujours pour Spirou, il s’attèle à la série Alertogas et Saxophon, deux soldats vivant à l’époque de la Grèce Antique, des aventures épiques convoquant l’Odyssée ou les Jeux Olympiques.

A partir de 1966, il travaille pour Pilote, le magazine concurrent dirigé par René Gosciny, et met en dessin les scénarios de Frédéric Aristidès (1931-2013), alias Fred, pour la Collection de l’Aéromédon Populaire. Ces mini-récits, eux aussi encartés et à monter soi-même, reprenaient le principe inventé par les éditions Dupuis pour Spirou, les 4 pages détachables formant un petit volume de 8 pages. Les héros de ces aventures se déroulant elles encore au début du 20ème siècle sont Bombax l’aviateur ou le magicien Mandrax. L’année suivante il scénarise, toujours pour Pilote, la série Tulipe et Minibus mise en dessin d’abord par Michaël-John Stockdale (né en 1946), alias Mike, puis par Claire Bretécher (1940-2020), la célèbre bédéiste française. On lui doit aussi des pages de gags intitulées Le Travail.

En 1968, Hubuc se sachant atteint de leucémie, maladie incurable à l’époque, dira, avec l’humour qui le caractérise : « Une maladie à la mode, il faut être dans le vent ! ». Il continue donc à dessiner et reprend, pour le Journal de Tintin cette fois-ci, la série Chlorophylle et Minimum, initiée en 1954 par le belge Raymond Macherot (1924-2005). Toujours dans Tintin, il scénarise la série Pancho Bomba dessinée par Mike, ainsi que Wilbur et Mimosa mis en dessin par le français Paul Guilmard (né en 1945). En 1969, il est l’auteur de la série Ces temps étaient dur pour le magazine belge Le Soir illustré.

Hubuc est emporté par la maladie le 13 juin 1970, il avait 43 ans ! Les hommages pleuvent. Greg le rédacteur en chef du Journal de Tintin lui consacre une page et la qualifie d’ « humoriste de la première classe et un homme droit et courageux ». L’équipe de Pilote le salue comme un « homme de grand talent et d’un admirable courage ». Se sachant condamné, Hubuc leur avait écrit qu’ils pouvaient continuer à faire de l’humour tranquillement. Phénix, une des première revue française d’étude de la bande dessinée publiée par les éditions Dargaud, lui rend également hommage.

Si sa carrière fut relativement courte, une dizaine d’années seulement, elle fut suffisamment prolifique et marquante pour faire d’Hubuc, une figure importante de l’histoire de la bande-dessinée franco-belge.

Nicolas Charmet pour Les Vaisseaux de Pierres

Webographie

https://michelgregblog.wordpress.com/2017/03/30/au-revoir-hubuc/
https://bdoubliees.com/journalspirou/auteurs3/hubuc.htm
https://bdoubliees.com/seriesauteurs/series1/wilburmimosa.htm
https://bdoubliees.com/tintin/auteurs3/hubuc.htm
https://bdoubliees.com/seriesauteurs/series1/aeromedon.htm
https://bdoubliees.com/seriesauteurs/series5/travail.htm
https://bdoubliees.com/seriesauteurs/series6/victor_sebastopol.htm
http://www.dlgdl.com/GENPAGES/DSE_CMBS.HTM
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb119079063
https://www.lambiek.net/artists/h/hubuc.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hubuc#Lechatt2

Pour citer cet article : Charmet N., 2023. “A l’ombre de menhirs et dolmens”, mini-récit dessiné par Hubuc pour le magazine Spirou (1962)… In : Les Vaisseaux de Pierres. Exploration des imaginaires autour et sur les mégalithes de Carnac et d’ailleurs, mis en ligne le 19 février 2023.- https://lesvaisseauxdepierres-carnac.fr/, consulté le : …